Le temps s'en va, le temps s'en va, ma Dame
Las ! le temps, non ; mais nous, nous en allons
Et tôt serons étendus sous la lame.
Pour ce aimez-moi, cependant qu'êtes belle.
Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.
Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront
Et saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.
Aimons au printemps de la vie
Afin que d'un noir repentir
L'automne ne soit point suivi.
Ne cherchons pas dans l'avenir
Le bonheur que Dieu nous dispense
Quand nous n'aurons plus l'espérance
Nous garderons le souvenir.
Le temps emporte sur son aile
Et le printemps et l'hirondelle
Et la vie et les jours perdus ;
Tout s'en va comme la fumée
L'espérance et la renommée
Et moi qui vous ai tant aimée
Et toi qui ne t'en souviens plus.
Tous ces jours passeront, ils passeront en foule
Mais moi sous chaque jour courbant plus bas ma tête
Je passe, et refroidi sous ce soleil joyeux
Je m'en irai bientôt au milieu de la fête
Sans que rien manque au monde immense et radieux
Bien souvent je revois, sous mes paupières closes
La nuit, mon vieux Moulins bâti de briques roses
Nos fontaines, les champs, les bois, les chères tombes
Le ciel de mon enfance où volent des colombes.
Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure
Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deçà, delà
Pareil à la
Feuille morte.
La nuit, dans le silence en noir de nos demeures
Béquilles et bâtons qui se cognent, là-bas ;
Montant et descendant les escaliers des heures
Les horloges, avec leurs pas.
Les horloges que j'interroge
Serrent ma peur en leur compas.